Chroniques

par bertrand bolognesi

Correspondances d’Henri Dutilleux
Kurt Masur dirige l’Orchestre national de France

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 16 septembre 2004
Henri Dutilleux et Kurt Masur au Théâtre des Champs-Élysées (Paris) en 2004
© pascal gely | radio france

Créé à Berlin il y a tout juste un an par Dawn Upsaw et Simon Rattle, Correspondances d’Henri Dutilleux attendait depuis lors sa première française. C’est chose faite : le soprano Barbara Hannigan chante ce soir ces quatre lettres religieuses s’ouvrant par une adresse à Shiva du poète indien Prithwindra Mukherjee. Après une écoute attentive et concentrée, le public accueille sa prestation avec enthousiasme, faisant une véritable ovation à l’œuvre et au compositeur qui salue non sans une certaine émotion.

La pièce présente quatre extraits de lettres empruntés aux correspondances de Baudelaire, Rainer Maria Rilke, Vincent Van Gogh et Alexandre Soljenitsyne, abordant chacun la thématique de la foi, que le musicien porte avec une sérénité admirable grâce à une orchestration d’une grande clarté. De fait, malgré les flammes de la Danse cosmique, on ne fait ici aucun mystère : sans vouloir jouer sur les mots, c’est la foi et le religieux qui sont évoqués, plus que le spirituel et le sacré. Si Dutilleux cite un motif de son propre Timbres, Espace, Mouvement de 1978 dans la dernière partie du cycle, on retrouvera la présence troublante du юродивый de Boris Godounov dans les quelques phrases d’une lettre du 9 février 1984 adressée à Galina Vichnevskaya et Mstislav Rostropovitch par Soljenitsyne.

De l’œuvre Kurt Masur s’ingénie à donner une lecture particulièrement équilibrée, tandis que Barbara Hannigan la défend avec un bel engagement, rendant parfaitement intelligible le climat de chaque partie grâce à une louable expressivité – évidente dans la lettre de Van Gogh, la séquence la plus dramatique de la partition –, d’une voix souple autant que présente, livrant des aigus faciles et bien amenés (le contre-ut dièse final se pose avec un naturel confondant).

Grand magicien de l’orchestre, Nikolaï Rimski-Korsakov fut un maître pour toute l’école russe du début du XXe siècle, et un exemple pour bien des compositeurs occidentaux qu’il influença bien après sa propre disparition. Fasciné par l’orient, comme la plupart des russes d’alors, soucieux d’affirmer la richesse de la culture musicale nationale tout en vivant l’expansion de l’Empire colonial vers l’est et vers le sud, il développera dans son œuvre – à travers Sadko et Coq d’Or, entre autres – une inventivité largement orientaliste, couronnée par sa suite symphonique op.35 Shéhérazade de 1888, inspirée des Mille et une nuits.

Kurt Masur surprend par un abord plutôt musclé des premiers traits de l’introduction du Tableau I, avant de développer une interprétation sensiblement nuancée qui contraste généreusement des interventions solistiques extrêmement soignées à des tutti puissants. On apprécie la fluidité et la couleur du jeu de Luc Héry au violon, personnage principal de l’œuvre. Plus articulé, le deuxième mouvement, essentiellement narratif, avance avec évidence ; signalons qu’il est très rare de pouvoir entendre le solo de clarinette sur un tapis de pizz’ aussi réguliers et synchrones qu’ils le sont ce soir. La scène d’amour (Tableau III) drape sa sonorité de la sensualité requise, tandis que la dernière partie laisse poindre un lyrisme plus plein encore, jusqu’au grand calme final. En bis de ce concert qui ouvre la saison de l’Orchestre national de France, les musiciens offrent un facétieux Vol du bourdon.

BB